Au-delà des problèmes de sécurité des Intelligences Artificielles et de la nécessaire régulation des systèmes auto-apprenants neuronaux, l’usage massif actuel d’outils d’IA développés par les GAFAM soulève d’autres risques de perte de souveraineté, d’indépendance, mais aussi d’efficacité.

Cet article a été publié dans le quotidien LES ECHOS

Les IA sont en marche, c’est inéluctable. Elles sont déjà entre autres, couramment utilisées par les logiciels interprétant le langage naturel (chatbots, traducteurs automatiques, interpréteurs de texte écrit, etc.).
La nouveauté, c’est l’avènement des systèmes auto-apprenants et en particulier les intelligences artificielles neuronales, mais aussi de data prédictives et d’aide à la prise de décision à haute valeur ajoutée.
Stratégiquement, les systèmes auto-apprenants impliquent une véritable révolution dans le monde du travail et dans la société. De nombreuses tâches que l’on croit aujourd’hui être de haut niveau, seront faites demain – bien mieux et beaucoup plus rapidement – par ces systèmes.
Pour schématiser, les systèmes apprenants utilisent deux ingrédients : un modèle mathématique et une base de données appelée base d’apprentissage, constituée de data considérées comme des « causes » et de celles estimées comme des « conséquences ». Le modèle mathématique lui, dépend toujours d’une multitude de paramètres : pour chaque collection de valeurs, il doit être capable de calculer à partir d’une data liée aux données « causes », une data liée aux données « conséquences ». Cette variété de paramètres détermine la capacité d’apprentissage du système en le conditionnant à être la plus proche possible de la donnée « conséquence » déterminée.
Pour atteindre cet objectif, le modèle mathématique doit faire appel à des objets mathématiques plus ou moins sophistiqués avec une règle assez simple : plus le modèle est sommaire plus le volume de la base d’apprentissage doit être important.

Les Deep Tech pour des outils IA sur mesure. 

Aujourd’hui, l’Intelligence Artificielle et en particulier les outils de maîtrise des systèmes apprenants est fortement dominée par les grandes entreprises du numérique (GAFAM et
IBM). Au delà du caractère stratégique des IA, cela pose évidemment des problèmes de souveraineté pour les Etats et d’indépendance pour les entreprises. Il ne semble par exemple pas très raisonnable, pour un Etat, de lutter contre la fraude fiscale avec des outils développés par Google ou de combattre l’espionnage avec des algorithmes conçus par Palentir Technologies qui travaille essentiellement pour toute la communauté du renseignement des Etats- Unis. Pour une entreprise, chercher à avoir une connaissance fine sur ses clients avec des outils d’Amazon, plus grande plateforme d’e-commerce au monde, est aussi absurde qu’utiliser le point de vente de son principal concurrent pour inviter ses clients à une vente privée !

Pour les Etats comme pour les entreprises européennes, il est fondamental d’acquérir et de maîtriser les outils d’Intelligence Artificielle avec lesquels ils vont travailler pendant longtemps. D’autant qu’il existe de nombreuses alternatives, aux outils d’Intelligence Artificielle des GAFAM. Les Deep Techs ou ces innovations de rupture nées dans un labo et faisant l’objet d’un transfert de technologie, façon techno-sciences, déploient désormais des Intelligences Artificielles sur mesure. Particulièrement adaptées aux processus d’entreprises commerciales et industrielles, elles permettent déjà de mieux maîtriser un système de tarification, de définir le prix optimum d’un produit, d’optimiser des stocks, une chaîne de production, d’abaisser les coûts de gestion du matériel via de la maintenance prédictive, etc.
Ces alternatives et leurs systèmes apprenants font appel à des modèles mathématiques plus sophistiqués que ceux des outils vendus ou mis à disposition par les plateformes des géants du numérique qui demandent des bases d’apprentissage colossales et avec lesquelles il est compliqué de prendre en considération des phénomènes d’accumulation, de décalage temporel ou de seuillage. Les deep tech européennes nourrissent le système apprenant de la connaissance a priori du domaine d’activité pour lequel il sera utilisé pour atteindre des niveaux de performance remarquables.

Un gain de temps en termes d’acquisition de bases d’apprentissage, mais aussi une économie significative en puissance de calcul. Dans le contexte industriel, il y a rarement des tera octets de données disponibles pour l’éducation des Intelligences Artificielles !

Emmanuel Frénod
Directeur Scientifique de See-d – Fondateur