Cet article a été rédigé à partir d’un entretien entre Emmanuel Frenod, fondateur et directeur scientifique de See-d, et Antoine Rousseau et Thierry Viéville.
Il a initialement été publié le 13 Juillet 2020 sur le Blog Binaire (lemonde.fr).


Mais qu’est ce que l’IoT ?

C’est l’Internet of Things, ou l’Internet des objets en français. Cela consiste à utiliser les données issues d’objets connectés pour les piloter ou les aider à se piloter. On conçoit le concept d’objet connecté de manière très large au sens où c’est quelque chose ou quelqu’un sur lequel sont placés des capteurs qui remontent des données vers une application qui les utilise. L’objet connecté peut être une machine-outil dans un atelier, ou une usine, une voiture, une personne portant un smartphone, un fruit, un champ de céréales, etc. Il est prévu qu’à relativement court terme il y aura 40 milliards d’objets connectés.

Et qu’est ce qu’une application ?

Ici, le concept d’application est vu de manière large. Cela peut être un logiciel qui tourne sur une machine juste à côté des capteurs comme pour le GPS de votre smartphone (qui sont en l’occurrence les récepteurs des signaux satellites, l’accéléromètre et le gyromètre, et se trouvent sur le même appareil que le programme qui les traite) ou dans votre voiture. Ce logiciel peut aussi s’exécuter sur un ordinateur distant (comme c’est souvent le cas pour des machines-outils) ou très distant (les voitures vendues par la firme Tesla par exemple remontent en permanence de l’information sur leur état vers des data centers). L’application peut également être distribuée avec une partie s’exécutant à côté des capteurs (cette partie est désignée comme étant « l’Edge Computing ») et une partie distante. Enfin, et c’est par exemple le cas pour de futurs dispositifs médicaux pour l’aide à la réalisation d’actes médicaux à distance, l’application peut inclure une collaboration entre des experts humains et des « bases de connaissances intelligentes » permettant de traiter de colossaux historiques de réalisations d’opérations passées.

Que signifie « IA » dans le cadre du présent article ?

Tentons une brève définition de ce qu’est une IA, comme un « programme Informatique » qui peut mimer une compétence humaine de haut niveau (analyse d’image ou de parole par exemple) ou qui peut faire mieux qu’un humain en matière de gestion de la complexité pour l’aider à décider en utilisant des données et avec des capacités d’apprentissage. Cette capacité d’apprentissage est souvent expliquée comme une capacité du programme à se réécrire tout seul. Il est plus conforme à la réalité de dire que le programme dépend de paramètres (éventuellement en grand nombre) qui peuvent être appris et se mettre à jour en fonction des données qui remontent du terrain.

En fait les données de l’IoT ne peuvent et surtout ne pourront de plus en plus être traitées qu’à l’aide d’IA spécialisées. Cela peut sembler étrange. En effet, il est légitime de se poser la question de « Pourquoi utiliser des IA pour traiter les données issues de capteurs » alors que simplement les recevoir et les mettre dans des tableaux de bord parlant pour les utilisateurs semblerait largement suffisant. Cependant, ne faire que cela ne permet pas de tirer la quintessence de l’IoT, et seules des IA ont la capacité à synthétiser en temps réel l’information que les flux de données de capteurs contiennent. Les trois raisons profondes de cela sont maintenant détaillées.

Traiter des données aléatoires non stationnaires

En premier lieu, disposer d’une suite de mesures brutes d’une grandeur faite par des capteurs ne présente pas ou que peu d’intérêt pour un humain. En effet, ces mesures sont entachées d’erreurs. En fait, elles sont précises en moyenne, mais sont très bruitées autour de cette moyenne. Lorsque l’on souhaite mesurer une grandeur qui n’évolue pas (ou peu), il est possible de pallier ce problème : il suffit de répéter la mesure plusieurs fois puis de faire une moyenne sur les mesures obtenues pour obtenir une estimation raisonnable de la valeur de la grandeur.

En revanche, si on souhaite mesurer une grandeur qui évolue rapidement, ce qui est souvent la problématique de l’IoT, il est indispensable de faire appel à une IA qui, avec ses capacités d’apprentissage, saura tirer profit de la précision « en moyenne » des capteurs en démêlant ce qui est du ressort de l’évolution de la grandeur d’intérêt et ce qui est du ressort de l’erraticité des mesures issues des capteurs.

Relier des données à une mesure utilisable

Une deuxième raison pour utiliser des IA est que dans certains cas, les capteurs ne donnent pas directement une information sur la grandeur à laquelle on s’intéresse, mais sur sa variation. Par exemple, l’accéléromètre de votre smartphone ne donne pas d’information directe sur votre position (mais bien sur sa variation). Pourtant votre appli GPS y fait appel. Un autre exemple : la température extérieure et l’ensoleillement ne donnent pas une information sur la maturité d’un fruit, mais elles contribuent à son mûrissement. Donc les connaître au cours du temps permet d’en déduire une information sur le niveau de maturité du fruit suivi. Ainsi, dans le contexte de l’IoT, il est nécessaire de pouvoir traduire l’information sur la variation observée en une information sur la grandeur d’intérêt.

C’est une IA qui se charge de ça en synthétisant à la volée les informations issues des capteurs qui donnent de l’information sur la grandeur et ceux qui donnent de l’information sur ses variations.

Gérer la multitude des capteurs et de leurs données.

La troisième raison est que la prévision pour un nombre massif d’objets connectés rend inopérante l’approche pure « tableaux de bord ». Il est indispensable que des IA traitent les tâches de pilotage les plus courantes à l’aide des données qui remontent, et, que d’autres IA sollicitent les humains quand une intelligence humaine est vraiment nécessaire pour une phase donnée de pilotage de l’objet connecté.

En conclusion

Une vocation principale de l’IA, au sens où c’est ce qui occupera le plus de temps de calcul demandés par des IA dans le futur, sera de gérer et valoriser les objets connectés. Cela démystifie sans doute un peu l’IA, car elle sera dans cette fonction finalement assez peu visible. Mais, elle aura là une très grande utilité et une très grande pertinence..

Emmanuel Frenod, mathématicien, Professeur à l’Université Bretagne Sud, au sein du Laboratoire de Mathématiques de Bretagne Atlantique, fondateur et directeur scientifique de See-d (*).